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L’aide au suicide au cœur de la complexité humaine

  • L’aide au suicide au cœur de la complexité humaine

    En Suisse, ce sont des associations qui pratiquent depuis 40 ans, sans remise en question, le suicide assisté. Entre dilemmes humains et actions judiciaires, leur action ne ressemble pas à un long fleuve tranquille.

    Simon

    La France va peut-être accepter une loi limitée, mais le débat ne sera pas clos. En Suisse, où adhérents et candidats au suicide ne cessent de croitre, il ne l’est pas non plus.

    L’association Exit Suisse romande accompagne les volontaires à quitter ce bas monde. Des conditions sont fixées, mais le grand âge notamment multiplie les demandes d’aide. La conviction que la mort ne dépend que de sa propre décision est de plus en plus répandue, d’autant que l’évolution et l’échéance de la maladie sont connues des patients.

    Les questions éthiques alimentent en permanence le débat: quid de l’assistance aux mineurs, aux dépressifs profonds, aux couples qui ne peuvent envisager que l’un parte sans l’autre ? Et bien sûr aux démences, dont celle qui effraie le plus, Alzheimer.

    Une accompagnatrice d’Exit a dû renoncer par deux fois à assister une patiente atteinte d’Alzheimer, car celle-ci ne s’est plus souvenue du rendez-vous. Aux Pays-Bas, c’est une première, la justice a admis au terme d’un procès, que l’existence de directives anticipée exprimant le souhait de partir en cas d’ Alzheimer autorisait son médecin à l’euthanasier à un stade avancé de la maladie.

     En Suisse, sur le plan pénal, un seul article concerne l’aide au suicide.

    L’article 115 condamne l’incitation et l’assistance au suicide quand elle répond à un mobile égoïste. 

    Le Dr Jérôme Sobel a réalisé il y a 40 ans que cet article dépénalisait l’aide désintéressée au suicide. Il a créé et longtemps présidé Exit-Romandie, l’association qui aide des volontaires à partir. Plusieurs autres associations ont suivi cet exemple.

    Les plus importantes sont EXIT Suisse alémanique et italienne (155’000 membres) et EXIT Suisse romande (34’000). C’est cette dernière qui fera l’objet de cet article. Ce sont deux associations différentes, mais au fonctionnement assez proche.Dignitas, plus modeste, estla seule qui accepte des personnes d’autres pays et ses adhérents sont principalement étrangers.

    Comme dans la plupart des pays occidentaux, les citoyens sont très majoritairement favorables à la mort assistée. En Suisse, lorsqu’ils votent (scrutins cantonaux ou communaux), ils plébiscitent ces associations.  En témoigne la décision récente de 77% des Valaisans d’autoriser la pratique dans les institutions pour personnes âgées.

    Les critères

    Lorsqu’un volontaire demande l’assistance, un médecin-conseil de l’association vérifie qu’il répond à l’une au moins de ces conditions: être atteint d’une maladie incurable, de souffrances intolérables ou de polypathologies invalidantes liées à l’âge. Il doit posséder sa capacité de discernement et pouvoir absorber lui-même le liquide létal ou actionner une perfusion.

    Pour les membres de l’association (40 francs de cotisation par an), l’assistance est gratuite. Médecins et infirmiers agissent en tant qu’adhérents.

    Le patient doit fournir un dossier médical qu’un médecin conseil d’Exit examine. Un accompagnateur ou une accompagnatrice assiste le patient et le cas échéant sa famille. C’est elle ou lui qui tendra la solution léthale au jour dit, non sans s’être assuré plusieurs fois de sa volonté de partir. Le liquide lui ôtera la vie en douceur et sans douleur.

    Police prévenue

    J’ai accompagné un ami souffrant de nombreux symptômes neurologiques dans ce dernier voyage. Lors d’une Xème hospitalisation, il a décidé de faire appel à Exit et de mourir chez lui. Le moment arrivé, mon ami a dû confirmer plusieurs fois sa décision et a bu sans hésiter la solution. Après quelques minutes, il s’est endormi. Le médecin légiste et la police étaient prévenus. Ils sont arrivés rapidement et la police s’est assurée que les conditions légales avaient été respectées.

    Et les soins palliatifs? Ils manquent cruellement en France et ne cessent d’être invoqués comme une panacée. La morphine, antidouleur le plus utilisé en cancérologie, a de nombreux effets secondaires. Et la souffrance est-elle le seul problème? Sa suppression rend-elle du sens à une vie lorsque l’échéance est la même? A chacun sa réponse. A ce stade, celle des blouses blanches n’est pas légitime.

    Je suis allée rendre visite il y a quelques semaines à une amie qui souffrait d’un cancer en phase terminale. Elle était dans le service des soins palliatifs d’un grand hôpital, prise en charge avec empathie. «Je peux mourir à n’importe quel moment, m’a-t-elle dit. Mais ce moment, j’aimerais le choisir, et être une dernière fois chez moi, dans cet appartement que j’occupais depuis 25 ans.» Elle est partie deux jours plus tard avec Exit comme elle le souhaitait, apaisée.

    En France, une culture du non

    La population française comme les Européens en général souhaitent vivement la possibilité de l’autodélivance. Mais la résistance est farouche. En février 2023, des collectifs de soignants affirmant représenter 800’000 professionnels ont publié dans Le Figaro une Tribune pour refuser et l’euthanasie et le suicide assisté. Ils ne voulaient pas participer à «une aide active à mourir».

    La situation est un peu paradoxale lorsqu’on sait que le droit à l’avortement a été triomphalement ancré dans la constitution. Une mère, un père peuvent décider d’ôter la vie du fœtus, mais n’ont pas le droit de supprimer la leur.

    Les prises de position des adversaires expliquent en long et en large pourquoi ces nouvelles possibilités devraient rester interdites. Ils expliquent ce que pensent les candidats au suicide, quelles sont leurs fausses motivations, leurs idées imaginaires, ce qu’il suffirait de faire pour que cette méchante idée disparaisse.

    Tel auteur compare l’acte à une «mise à mort», d’autres affirment que les candidats au suicide «sontmanipulés», «soumis à la pression sociale», voire n’ont plus tout à fait leur tête. Si les bien-portants «avaient su l’assister, il n’aurait pas demandé à mourir»; «des soins palliatifs auraient peut-être pu supprimer la douleur»; la société, la médecine, l’entourage feraient pression sur «des personnes en situation d’extrême faiblesse». Ils se prononcent, et de manière souvent péremptoire, à la place des intéressés.

    Pour ces analystes, maîtriser la douleur est LA solution à cette fin de vie. Or, être en souffrance, ce n’est pas forcément être affaibli psychologiquement ou plus maître de sa lucidité. Cette volonté de partirrelève d’une appréciation personnelle,pas celle des bonnes âmes, en grande majorité bien portantes, qui croient savoir à quel point l’existence doit être acceptable, même en enfer.

    La justice entre droit et humanisme

    Le suicide est envisagé comme une assurance, la certitude de pouvoir mourir apaisé si le besoin s’en fait sentir. Mais seule une petite minorité fait appel à cette aide.

    Lorsqu’un praticien contrevient par humanisme aux règles de l’association, la justice balance. Exit en a vécu quelques épisodes. Une doctoresse avait rendez-vous avec une patiente atteinte de la maladie de Charcot. Au jour dit, évolution rapide aidant, la malade était paralysée et ne pouvait même plus actionner la perfusion. La doctoresse lui avait alors proposé de lui envoyer le produit létal quand elle bougerait son pied, ce qui fut fait. La doctoresse a fait face à une longue procédure, mais a été fainalement acquittée, ce qui à vrai dire était un jugement plus humain que juridique.

    L’illustration par Hodler de l’évolution de la maladie de sa compagne, jusqu’à la mort.  témoigne des progrès accomplis depuis lors. Le choix de partir avant l’échéance en est un, partagé par de plus en plus de pays.

    En novembre 2016, deux frères ont saisi le tribunal civil de Genève pour empêcher le suicide demandé à Exit par le troisième. L’acte a été suspendu par la justice, le frère demandeur s’est suicidé.

    Il n’est pas rare que des couples, après des dizaines d’années de vie commune, ne puissent envisager que seul l’un d’eux s’en aille. Conformément aux conditions de l’association, une vice-présidente d’Exit a refusé à un mari encore bien portant d’accepter qu’il parte avec son épouse. Le mari avait prévu l’ultime refus, il s’est éclipsé sitôt sa femme décédée et s’est tiré une balle dans la tête.

    Inversement, un autre médecin de l’association a aidé à partir deux conjoints alors que l’épouse était encore en relative bonne santé. Elle l’avait convaincu de sa ferme décision de se suicider en cas de refus. Le médecin a procédé aux deux suicides ce qui lui a valu de passer par les tribunaux. Après des années de procédure, il a été récemment acquitté par la Cour suprême. Le plus émouvant, c’est que lui-même avait décidé avec son épouse de faire de même, mais s’est trouvé piégé: une démence a frappé sa conjointe si rapidement que sa capacité de discernement n’existait plus. Il a accepté de montrer son douloureux quotidien dans une émission de télévision. Cette situation illustre la complexité des choix voulus et/ou impossibles.

    La décision d’acquittement du Tribunal fédéral a relancé le débat sur une éventuelle législation.

    Exit Suisse alémanique et Tessin compte 155’000 membres et aide annuellement quelque 1600 personnes à partir.Exit Suisse romande rassemble plus de 30’000 membres et assiste quelque 500 personnes par an.

    Tous constatent une augmentation régulière tant des membres que des candidats au suicide.

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